Pourquoi les footballeurs méritent-ils leur salaire ?

Dix millions cinq-cent mille euros par mois. C’était le salaire de Lionel Messi avant son transfert au PSG en août 2021. Alors, pour vous donner une petite idée, cela fait environ 180 euros par minute. À ce niveau, je pense que vous oscillez comme moi entre l’amertume, l’envie, mais aussi la révolte. Alors que les inégalités sociales semblent plus accrues que jamais, comment justifier de telles sommes ? Peut-on penser que les footballeurs méritent leur salaire, et si oui, pourquoi ?

Les inégalités salariales peuvent vous sembler injustes mais il serait en fait tout aussi injuste que vous soyez toutes et tous payés de la même manière. Et distribuer les richesses en fonction de votre mérite est donc ce qui permet de tenir compte de vos différences. Mais est-ce suffisant pour justifier de si grandes disparités ? C’est exactement la question que se pose le philosophe américain Robert Nozick, pour les basketteurs. Il prend l’exemple de Wilt Chamberlain, basketteur star des années 1960-1970, mais puisqu'il est relativement méconnu en France, on va plutôt rester sur Lionel Messi.

Est-ce que, donc, on peut justifier les 10,5 millions d’euros mensuels de Messi ? Eh bien pour Robert Nozick oui, totalement. Nozick est un philosophe américain libertarien des années 1970, qui pense que l’État peut être réduit à son minimum. Selon le philosophe américain, on n'est pas comme des enfants à qui l’État distribuerait des parts de gâteau ou à qui il dirait de mettre sa ceinture en voiture. Et donc dans sa logique libertarienne, la richesse de Messi est justifiée.

Tout travail mérite-t-il salaire ?

Ce n’est pas juste une question d’équilibre du marché, qui explique en partie les salaires des meilleurs footballeurs que s’arrachent les clubs. C’est aussi la question plus fondamentale des acteurs sur ce marché : les inégalités, même monstrueuses, ne sont pas injustes, du moment qu’elles reposent sur des échanges librement consentis. Donc si vous achetez un billet pour un match de football au lieu de… je ne sais pas, vous abonner à Philosophie Magazine (au hasard), rien ne permet de dire qu’il est injuste que Messi bénéficie d’une partie de la richesse que vous avez librement choisie de transférer au club. Et il le mérite d’autant plus qu’il travaille.

On peut bien sûr discuter indéfiniment de la valeur sociale de ce travail, comparé à celui d’un(e) professeur(e) ou d’un(e) infirmièr(e), et même parfois de sa réalité (est-ce vraiment un travail de courir derrière un ballon ?). Pourtant il est quand même difficile de nier en toute bonne foi qu’un footballeur fournit des efforts et ne se contente pas d’hériter de ses revenus. Et donc, c’est là le second argument de Robert Nozick : le salaire est le fruit du travail que vous fournissez. Or vous êtes le légitime propriétaire des fruits de ce travail – c’est un des piliers de la pensée libérale.

Cette propriété découle de droits naturels et fondamentaux. D’abord, vous êtes propriétaire de votre corps, et donc vous avez le droit d’en disposer librement ainsi que de tout ce que ce corps produit. Même si vous êtes favorisé par des capacités naturelles (on ne va pas se mentir, on n’a pas toutes et tous les qualités athlétiques et physiques d’un Messi), ces capacités ne sont productives que si vous les développez en les travaillant. Vous avez également un droit naturel à vivre, et donc à produire tout ce qui est nécessaire pour entretenir cette vie.

Pour Robert Nozick donc, on ne saurait considérer que les footballeurs gagnent trop. Taxer leurs revenus pour les redistribuer et réduire les inégalités reviendrait à leur imposer du travail forcé puisqu’on leur prendrait alors une partie du produit du travail qu’ils ont fourni et qui leur appartient de plein droit. Dans cette logique, les footballeurs méritent bel et bien leur salaire. Et si vous voulez qu’il diminue, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire : surtout, ne jamais acheter de billets pour des matchs de football !

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